« La Revue des Deux Mondes est-elle devenue franchement réac ? », c’est ce que titrait Les Inrockuptibles en 2015, accusant la plus vieille revue intellectuelle d’Europe de basculement vers le pessimisme… allant jusqu’à la taxer de réactionnaire, elle qui fut un temps le haut lieu du conservatisme bourgeois. De son côté, la revue, plus de 190 ans au compteur, dit s’inquiéter d’un « nouvel ordre médiatique », d’une « tyrannie des minorités ». Qui a raison ? Qui a tort ? Pour y répondre, un petit décryptage de l’orientation politique et marketing de la revue s’impose…
D’un conservatisme bourgeois à un pessimisme réactionnaire : le renouveau de la plus ancienne revue intellectuelle d’Europe ?
Avec plus de 190 années au compteur, la Revue des Deux Mondes semble s’orienter progressivement vers une ligne éditoriale réactionnaire et pessimiste, alors qu’elle était plutôt connue pour son conservatisme bourgeois. C’est en tout cas ce que pense Edouard Launet, journaliste au Monde. Qu’en est-il vraiment ? Eléments de réponse.
Origines et conservatisme modéré
A sa création en 1829, la revue adopte clairement une ligne progressiste, notamment en soutenant la monarchie de Juillet. Très vite, elle se fait un nom en publiant des œuvres d’écrivains de renom de la première moitié du XIXe siècle, comme Musset, Dumas ou encore Chateaubriand. La Révolution de 1848 marque un tournant dans la Revue des Deux Mondes, qui adopte dès lors un discours conservateur. Comme le souligne Olivier Corpet, créateur de La Revue des revues, elle défend « des positions politiques de plus en plus conservatrices sur le fond et modérées sur la forme ». Pour remettre un peu les choses dans leur contexte, il faut savoir que la revue compte aujourd’hui moins de 5 000 abonnés, contre 40 000 avant la Première Guerre mondiale.
Une direction renouvelée et une ligne éditoriale controversée
L’arrivée de Valérie Toronian, ancienne directrice du magazine Elle, et de son compagnon Franz-Olivier Giesbert (ami de Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire de la revue) à la tête de la revue, marque le début de cette nouvelle orientation. Ces acteurs issus de la presse magazine semblent avoir rompu avec la tradition modérée de la revue, jusque dans l’aspect visuel et la mise en page, dès lors modernisés, donnant la priorité aux couvertures percutantes et aux dossiers « provocateurs ». Fini alors le ton policé et mesuré, place aux polémiques tranchées. La nouvelle ligne éditoriale se reflète dans les contributions de personnalités telles qu’Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Régis Debray ou encore Michel Onfray, connues pour leurs visions pessimistes, voire réactionnaires.
Interrogé par Le Monde en 2015, l’ancien directeur de la revue, Michel Crépu, craint que la Revue des Deux Mondes ne se transforme en « produit de marketing intellectuel ». Même son de cloche du côté de pas mal de contributeurs, qui disent être préoccupés par l’évolution de la revue.
Une prise de position, un engagement dans le débat d’idées
C’est ainsi que l’on pourrait définir l’orientation politique récente de la Revue des Deux Mondes. Sous la direction avisée de Valérie Toranian, la revue s’impose désormais comme un média résolument engagé dans le dialogue des idées contemporaines. Elle se démarque notamment par son refus de se ranger sous l’étiquette d’une orientation politique spécifique, s’affirmant plutôt comme une plateforme de réflexion et d’échange. Pour autant, une brève analyse de ses thèmes de prédilection donne une idée un peu plus précise sur les contours de sa ligne éditoriale…
Aujourd’hui, difficile de se tromper en disant que la Revue des Deux Mondes exprime de manière récurrente des préoccupations concernant l’impact de l’extrême gauche, notamment dans les universités et les médias, sur la liberté d’expression et la qualité du débat public. Au travers de ses éditos et de ses dossiers, on remarque qu’elle porte un intérêt particulier à la liberté d’expression, s’inquiétant des tendances actuelles qui privilégient la non-offense des différentes communautés à l’objectivité factuelle.
Toujours eu égard à sa ligne politique, la revue s’est mise à porter un regard de plus en plus critique sur l’islam et ses dérives potentielles, un sujet souvent évoqué dans ses publications. C’est ainsi qu’elle donne la parole à des auteurs tels que Fatiha Boudjahlat, enseignante et chroniqueuse, qui défend l’idée que la réduction des individus à une identité prédéfinie est préjudiciable. Aujourd’hui donc, on peut résolument dire (sans risque de nous tromper) que la Revue des Deux Mondes se positionne avant tout comme une plateforme de réflexion et de discussion, notamment en abordant des questions sociétales profondes, sans pour autant se confiner à une ligne politique particulière. Le tout, avec pour ligne de mire, un engagement affiché pour la liberté d’expression, couplé à un refus obstiné de la censure.
Orientation marketing : un accent mis sur l’engagement du lectorat
Sous la houlette de Valérie Toranian, la Revue des Deux Mondes a su évoluer de manière significative d’un point de vue marketing, un axe qu’elle se devait absolument d’améliorer. Car rappelons que la revue ne compte aujourd’hui qu’environ 5 000 abonnés, bien loin de ses performances d’antan. Pour renverser la tendance, Valérie s’est d’abord attaqué à l’aspect visuel, en misant sur une refonte de la couverture afin de mieux capter l’attention d’un public plus large, une décision qu’elle revendique non sans fierté. Cette audace traditionnellement étrangère à la revue a porté ses fruits, la publication ayant triplé ses ventes depuis l’arrivée de Valérie Toranian en 2014 !
La revue a également décidé de se rapprocher de son lectorat en favorisant le débat d’idées. En s’éloignant du format classique des magazines, elle propose désormais une approche plus approfondie des sujets contemporains, soutenue par une rédaction composée d’universitaires, de chercheurs et d’écrivains. C’est ainsi qu’elle se positionne comme un média distinctif, dont tout l’objet est d’offrir une analyse plus profonde des enjeux actuels que ce qui est proposé sur la place. Et puis il faut signaler un « coup marketing » à mettre à l’actif de la revue, qui a su exploiter l’attention médiatique engendrée par l’affaire Fillon pour booster sa notoriété, sans pour autant que cette controverse ne nuise à son succès.